La Rose dans le bus jaune by Eugène Ébodé

La Rose dans le bus jaune by Eugène Ébodé

Auteur:Eugène Ébodé [Ebode, Eugene]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-04-28T09:41:26.189000-03:00 JF
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-02-08T23:00:00+00:00


Parfois, l’été vient en hiver

Le lundi matin, Coretta Scott, la jeune épouse de Martin Luther King, était la plus anxieuse. Elle n’avait presque pas fermé l’œil et dès l’aube, berçant Yolanda, leur premier enfant, née une quinzaine de jours plus tôt, elle se posta à la fenêtre de leur maison, à South Jackson Street, pour regarder passer les premiers bus. Il était près de six heures. Les bus étaient vides. Elle cria de joie en appelant King, réveillant en sursaut, dans son exultation, le nourrisson qu’elle allaitait et qui s’était assoupi dans ses bras. Le bus allant vers Cleveland Avenue était vide. Son chauffeur, un homme à la casquette vissée sur la tête, n’était pas James Blake. Appelé à comparaître comme témoin à charge dans mon procès, et plus tard dans celui concernant Browder contre Gayle, il n’était pas au volant d’un bus ce matin-là. Tous ceux qui en conduisaient un ne savaient pas ou n’avaient pas été informés par la direction de la City Lines qu’un mouvement de boycott avait été lancé, créant une situation inhabituelle à Montgomery.

« Pourquoi n’y a-t-il pas de Noirs ou presque dans les bus ? » demandaient les passagers blancs.

Les chauffeurs haussaient les épaules, ne voulant pas affoler leur maigre clientèle. Parmi celle-ci se trouvait une poignée de Noirs, costumés à la manière des parvenus, sagement assis au fond des bus. Ils avaient reçu les tracts, mais ils ne voulaient pas suivre le mot d’ordre de boycott. L’écrasante majorité des nôtres marchait. De l’est à l’ouest de la ville, du nord au sud, la ronde des bus déserts se poursuivit. Leur clientèle n’était-elle pas habituellement composée à soixante-quinze pour cent de Noirs ? Ces derniers, en groupes ou à la queue leu leu, marchaient pour se rendre à l’école ou au travail. D’autres étaient dans des taxis ou dans les corbillards repeints et conduits par des Noirs ou des militants antiracistes blancs.

Ce matin-là, penchée à la fenêtre de ma cuisine, j’exultais de voir les Noirs remplir les trottoirs, s’interpeller et aller gaiement à l’école ou à leur travail à pied. Une foule joyeuse, colorée, dévalait les rues pentues de Cleveland Court. Des mères de famille tentaient de discipliner les enfants qui prenaient plaisir à marcher aux côtés de leurs compagnons d’école. Les sermons du week-end avaient porté ! Le message du boycott avait été reçu et cela se vérifiait à l’œil nu. Enthousiaste, j’avais réveillé Leona et Raymond. Tous trois, derrière la fenêtre de la cuisine, nous avions partagé la même euphorie. L’hiver perçait mais c’est une chaleur digne d’un été torride qui fit perler la sueur sur nos corps en fête ! J’en oubliai que, l’après-midi, une difficile épreuve m’attendait face à mes juges. Je tenais à savourer cet instant rare où la peur disparaît et est remplacée par un sentiment de soulagement auquel on a tant songé et qui, lorsqu’il survient, vous épanouit, vous dépose un goût délicieux dans une gorge naguère serrée, nouée par l’angoisse ou l’appréhension.



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